L'argent de la SNCM navigue sur les flots

Publié le par Jean-Sébastien Soldaïni

De 13 à 73 millions d’euros. Le prix des parts de Butler Capital Partners dans la SNCM a grimpé de 461% en deux ans. Des part achetées après renflouement de la société par l’Etat et donc après injection de fonds publics. Quand le business ne s’embarrasse pas de moralité

 

« Plus tôt vous réservez, moins chère est la traversée ». Cette publicité pour la SNCM aux allures d’Easy Jet s’affiche en plein centre de la page d’accueil du site Internet de Véolia Transport. Un slogan que l’actionnaire principal de la compagnie maritime doit bien méditer depuis le mois de décembre. Après deux ans de traversées effectuées main dans la main avec le fonds d’investissement Butler Capital Partners (BCP), l’opérateur industriel a racheté les parts de son associé pour un tarif loin d’être Low Cost. Plus de 5 fois leur valeur estimée en 2006. Etonnant pour une compagnie dont la tendance au déficit était pourtant une marque de fabrique. Alors chez Véolia on se refuse à tout commentaire. Quant à BCP, l’heureux vendeur, un porte-parole se charge d’affirmer, sans divulguer de chiffre, « qu’il y a bien une plus value et que l’investissement réalisé est un investissement rentable ».

 

Bien sûr, Véolia n’a pas payé avec le couteau sous la gorge. Bien sûr, l’opération réalisée entre deux acteurs privés est « parfaitement légale. Mais compte tenu de la période de crise que nous traversons, ça paraît quand même choquant. Stupéfiant même, s’étonne Ange Santini. Surtout à grands renforts de fonds publics ». Le président du Conseil exécutif de Corse se charge ainsi de rappeler qu’avant de céder une partie de ses parts de la SNCM, l’Etat a renfloué la société au bord du dépôt de bilan en signant un chèque 113 millions d’euros. Plus 38 millions destinés à financer un plan social de 400 départs volontaires. Une main à la poche pour se défaire d’un fil à la patte. Et surtout du boulet qui traînait à l’autre bout. Au risque de se faire accuser de sous-estimer la valeur de la compagnie. « Si la SNCM avait vraiment été bradée, il y aurait peut-être eu plus de candidats à la reprise. Mais sans cet apport [de l’Etat] le prix n’aurait pas été le même et peut-être que ni Véolia, ni BCP n’auraient apporté leurs services », commente le porte-parole de Butler Capital Partners.

Ange Santini consent, avec une nuance. Ou plutôt deux : « L’Etat a fait quelques sacrifices pour qu’il y ait des repreneurs. Mais lorsqu’on voit le profit réalisé en l’espace de deux ans grâce à Véolia qui est un professionnel des transports… La compagnie a connu l’embellie parce qu’il y a une société sérieuse, Véolia. » Pas un mot pour BCP.

 

Le fonds d’investissement peut s’enorgueillir d’avoir contribué à l’augmentation de 20% du chiffre d’affaires de la SNCM en 2008, il aura tout de même du mal à se défaire de son image.

« Un fonds d’investissement, ça porte son nom, note Ange Santini. Son but est d’investir et d’en tirer un profit après restructuration. Il n’y a pas de surprise. »

 

Pas de surprise non plus du côté des syndicats. Les marins de la CGT, alliés à leurs camarades du STC, s’étaient engagés en 2005 pour une grève qui allait durer 24 jours. Ajoutant 5,14 millions d’euros au rang des pertes d’exploitation pour la compagnie. « Il fallait absolument éviter que ce soit Butler à 100% », confie Jean-Paul Israël, à l’époque responsable de la CGT marins de la SNCM. « Il est vrai qu’au départ, la première solution était la cession totale à un fonds d’investissement. Nous ne le souhaitions pas, rappelle Ange Santini. Imaginez ce que cela aurait été si ça avait été le cas. Ce serait même pire aujourd’hui. Le seul objectif d’un fonds d’investissement seul aurait été de faire du gras sur le dos de la compagnie ». BCP y est aussi parvenu en restant aux côtés de Véolia et de l’Etat…

 

« Mais dans cette opération, Butler et Véolia n’ont rien reversé à l’Etat. Ils ont sorti l’argent de la poche gauche pour la mettre dans la poche droite. Tout en laissant le volet social sur le carreau », souligne Jean-Paul Israël. Pour l’ancien leader syndical, le combat mené en 2005 trouve aujourd’hui toute sa légitimité. « Cette mobilisation a attiré l’attention de l’opinion publique. Certains, même ceux qui nous considéraient comme des jusqu’au-boutistes, nous ont compris. Il a quand même fallu s’arrêter une fois que le gouvernement a dit qu’il restait dans les murs avec une minorité de blocage. Malheureusement, on ne pouvait pas aller beaucoup plus loin. Sinon on perdait les faveurs de l’opinion publique. »

 

Compagnie renflouée, mais avec l’impression d’avoir été floués. CTC et syndicats sont en droit de demander des éclaircissements. La SNCM de l’époque affichant des résultats catastrophiques, peu de repreneurs se bousculaient sous l’étrave des navires. Ancien ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, devenu locataire de Matignon s’initiait sur ce dossier à la diplomatie syndicale. Le conflit de la SNCM était sa première crise sociale. Il en avait profité pour glisser la proposition de reprise de Walter Butler, l’un de ses proches (voir encadré). « Même si cela est tout à fait légal, il est clair qu’il peut y avoir des explications qui soient demandées à ceux qui ont géré le dossier », insiste Ange Santini. Mais du côté de la CGT, Jean-Paul Israël se fait peu d’illusions : « Comme ce sont les mêmes qui sont en place et qu’ils ont un rouleau compresseur sous la main, je ne pense pas qu’on ait un jour des précisions ».

Du côté de BCP, ce genre de considérations semble appartenir au passé. « Le rôle de l’Etat, ce n’est pas la question. Aujourd’hui, c’est un acteur privé qui achète ses parts à un autre. Pensez-vous que Véolia aurait payé un tel prix si la société considère que ça ne le vaut pas ? Il y a eu une négociation. Quand on vend, on négocie ! », tonne le porte-parole de Butler Capital Partners. Peut-être qu’en achetant plus tôt, Véolia aurait payé moins cher. Peut-être pas. Mais depuis décembre, le prix des parts est non modifiable, non remboursable.

 

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Publié dans Corsica

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