L’étrange pèlerinage de Mathias Schepp

Publié le par Jean-Sébastien Soldaïni

Dans sa fuite entre la Suisse et l’Italie, le papa des jumelles Livia et Alessia, a pris la peine de venir passer une journée en Corse. Pas une de plus. C’est aussi sur l’île que ses filles auraient été vues pour la dernière fois.

 

Deux points fixes : Propriano 6h30 et Bastia 15h42. Un peu plus de neuf heures au cours desquelles Mathias Schepp est comme un fantôme. Et où la présence de ses filles est floue. Il est arrivé de Marseille dans le petit port du Golfe du Valinco. La destination lui a sans doute été imposée. Au départ de la cité phocéenne ce 31 janvier, les marins de la SNCM viennent d’entamer une grève. Tous les passagers sont rassemblés à bord du Scandola, seule navire au départ pour la Corse. Le cargo mixte est inhabituellement plein pour une rotation d’hiver. Mais deux personnes à bord affirment avoir reconnu Livia et Alessia en compagnie de leur papa. Une voisine de cabine pense même les avoir entendues. Elles pleuraient pendant la traversée. Visiblement, rien de plus qu’un banal chagrin d’enfant.

 

Le lendemain rien ne permet d’affirmer avec certitude que les fillettes ont débarqué avec Mathias Schepp. Pas même Olga Orneck. Comme chaque matin, cette retraitée est descendue en ville faire quelques courses. Elle vient d’acheter un paquet de cigarettes et se dit, en traversant la rue : « Comme elles sont jolies ces deux petites filles blondes. Une mangeait un croissant ou un pain au chocolat. L’autre avait un bonnet rose à rayures grises. Derrière, à quelques mètres marchaient un monsieur et une dame aux cheveux châtains. Ils semblaient se connaître. Je suis sûre à 100% qu’il s’agissait de Mathias Schepp. Pour les jumelles, c’est du 95% ». C’est le témoignage le plus détaillé à ce jour. Il était aux alentours de 10 heures, ce matin du 1er février. Ce qui laisse 5 heures 42 à Mathias Schepp pour rejoindre Bastia. Et acheter un aller simple, pour une seule personne, en direction de Toulon.

 

Au volant de sa grosse Audi A6, a-t-il pris la route la plus compliquée ? Celle qui tortille vers le col de Vergio et se resserre dans la Scala di Santa Regina ? Un pompier, d’abord pris au sérieux, dit avoir vu la voiture immatriculée dans le canton de Vaud, stationnée aux abords du barrage de Calacuccia.  Il précisera plus tard que c’était « au cours des trois derniers mois »…

 

Personne ne voit l’ingénieur suisse sur l’axe Bastia-Ajaccio. S’est-il alors engagé sur le chemin le plus court, via Porto-Vecchio ? C’est ce qui semble le plus probable. Un épicier de Piannotoli semble formel, il a vu le papa des jumelles sur son parking avec son véhicule noir. Sans plus de détails. Mais si ce parcours semble logique, c’est aussi parce qu’il justifierait un étrange crochet par la Corse. Parce qu’il expliquerait pourquoi Mathias Schepp ne s’est pas rendu directement de Saint-Sulpice, où il réside, à Cerignola, près de Naples, où il s’est suicidé. C’est parce qu’il aurait eu la nostalgie de jours heureux coulés sur l’île avec son ex-épouse, la maman des fillettes. Et que, comme chacun des endroits où il s’est arrêté dans sa fuite, les lieux avaient une signification pour le couple. Tous étaient choisis dans un seul but : témoigner de sa souffrance après leur séparation.

 

Les enquêteurs ont même un temps pensé que Livia et Alessia ont été conçues en Corse, lors d’un voyage fait ensemble il y a six ans. Hypothèse visiblement peu probable. Il n’empêche, ils ont survolé pendant deux longues journées les criques isolées de l’extrême sud. En hélicoptère et à très basse altitude. Dans l’espoir de trouver une trace du passage de Mathias Schepp. Mais il semblerait que le papa des jumelles ait eu un besoin impérieux de se rendre dans le Nord de l’île. Sinon, pourquoi repartir par Bastia alors que la Corsica Ferries lui proposait aussi une traversée pour Toulon au départ d’Ajaccio ? Pourquoi faire tant d’heures de route ? Pour aller à Macinaggio, à l’autre bout de la Corse ? Possible. Plusieurs témoins, peu fiables, disent avoir aperçu un homme correspondant au signalement de Mathias Schepp. Tantôt seul, tantôt accompagné de deux filles dans le petit port de pêche. Un lieu qui a aussi sa symbolique dans l’esprit du papa divorcé. C’est là que toute la famille a accosté pour la première fois sur l’île lors d’un tour de Corse à la voile en 2008. Là qu’ils auraient campé tous ensemble.

 

Mais Mathias Schepp est peut-être venu chercher une complicité sur l’île. Olga Orneck dit bien avoir aperçu une femme en leur compagnie sur le port de Propriano. En Italie, deux personnes affirment avoir vu le papa et les fillettes avec une dame aux cheveux foncés dans un centre commercial de la région de Côme. La mystérieuse demoiselle, originaire de Suisse est, elle aussi, portée disparue depuis la fin janvier. Elle aurait pu se voir confier Livia et Alessia. Une éventuelle assistance qui laisse un espoir dans les yeux d’Irina Lucidi, la maman des jumelles.

Publié dans Corsica

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